1er février 2024 – Accident entre un tramway et un piéton : dans un arrêt rendu le jeudi 21 décembre 2023, la Cour de cassation applique la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 dite loi Badinter


Cours de l’Argonne à Bordeaux, configuration du lieu où est survenu un accident entre un tramway et un piéton âgé de 15 ans, le jeudi 9 juin 2011. Capture d’écran Google Street View (avril 2023). Copyright : Google

Dans un arrêt rendu le jeudi 21 décembre 2023, la Cour de cassation a décidé d’appliquer la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 dite loi Badinter qui permet à toute victime d’être indemnisée par l’assureur de n’importe quel véhicule impliqué, quelle que soit la responsabilité réelle de son conducteur.

Jusqu’à présent, les juges n’appliquaient pas la loi du 5 juillet 1985 sur la base que ladite loi exclut, dans son premier article, les trains et les tramways circulant sur des voies qui leur sont propres.

En l’espèce, le jeudi 9 juin 2011, à la hauteur du 220 cours de l’Argonne à Bordeaux, un mineur âgé de quinze ans avait perdu l’équilibre et fait un écart sur la voie de tramway qui longeait le trottoir sur lequel il marchait, heurtant une rame de tramway de la ligne B qui circulait en direction de Pessac et qui l’a fait chuter sur les rails avant de se retrouver sous le museau de la motrice de tête grièvement blessé. Ses parents, agissant tant en leur nom personnel qu’en leurs qualités de représentants légaux de la victime, ont assigné la société exploitant le réseau de tramways ainsi que son assureur en indemnisation de leurs préjudices sur le fondement de la loi du 5 juillet 1985.

Suivant un arrêt en date du mardi 12 octobre 2021, la Cour d’appel de Bordeaux admit l’application de la loi du 5 juillet 1985 au litige aux motifs qu’à l’endroit du choc, aucune barrière ne séparait la voie de tramway du trottoir duquel la victime est malencontreusement descendue et que la faible hauteur de ce trottoir ne permettait pas de délimiter la voie propre du tramway.

La société exploitant le réseau de tramways et son assureur forment un pourvoi en cassation. Ils font grief à la Cour d’appel d’avoir violé l’article 1er de la loi du 5 juillet 1985 en considérant que la loi Badinter n’avait pas à s’appliquer dans la mesure où l’article 1er est rédigé ainsi : « Les dispositions du présent chapitre s’appliquent, même lorsqu’elles sont transportées en vertu d’un contrat, aux victimes d’un accident de la circulation dans lequel est impliqué un véhicule terrestre à moteur ainsi que ses remorques ou semi-remorques, à l’exception des chemins de fer et des tramways circulant sur des voies qui leur sont propres. » Les demandeurs au pourvoi font valoir en ce sens la configuration du lieu de l’accident : la chaussée était divisée en trois voies, à savoir deux voies ferrées parallèles, dont l’une contiguë au trottoir, empruntées par le tramway, et une chaussée à sens unique réservée aux autres véhicules longée par un trottoir. Partant, les voies empruntées par le tramway, qui lui étaient réservées et n’étaient pas destinées à être empruntées par d’autres véhicules, ni par les piétons, constituaient bien, au regard de la loi, des voies propres au tramway. Ils ajoutent enfin qu’ « une voie est propre au tramway quand elle est réservée à sa seule circulation, sans être destinée aux autres usagers » et qu’« il n’est donc pas nécessaire, pour qu’une voie soit qualifiée de propre au tramway, qu’elle soit surélevée ou séparée des autres voies par des éléments infranchissables », contrairement à l’analyse retenue par les juges du fond.

La Cour de cassation rejette le pourvoi. Elle rappelle en effet que les dispositions du chapitre 1er de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 relatives à l’indemnisation des victimes d’accidents de la circulation, sont applicables. La Haute juridiction approuve en ce sens la position de la Cour d’appel, ayant exactement retenu que la loi du 5 juillet 1985 s’appliquait à l’accident dans un contexte où « à l’endroit du choc, la voie de tramway ne lui était pas propre en ce qu’elle n’était pas isolée du trottoir qu’elle longeait ».

Critère unique d’exclusion de l’application de la loi aux tramways, la notion de voie propre n’a pourtant jamais été définie par le législateur. La jurisprudence est cependant venue combler cette lacune en dégageant deux critères : d’une part, la fermeture de la voie empruntée par le tramway à la voie normale de circulation ; d’autre part, la délimitation matérielle de cette voie. Constitutifs d’une « voie propre », ces deux critères, déjà érigés par la Cour de cassation, sont cumulatifs (v. Civ. 2e, 5 mars 2020, n° 19-11.411).

Concernant le premier critère ici rappelé, la fermeture de la voie à la voie normale de circulation routière, il repose théoriquement sur l’idée d’exclusivité de la circulation et suppose, concrètement, de constater que la voie empruntée par le tramway est hermétique aux autres voies de circulation, routière ou piétonne. Ainsi la voie propre se définit-elle d’abord comme celle sur laquelle seul le tramway peut circuler. L’hypothèse la plus fréquente, en l’espèce illustrée, est celle d’une voie ferrée : de manière générale, sont exclus du domaine d’application de la loi Badinter tous les véhicules circulant sur une voie ferrée qui leur est propre, en sorte que l’accident dans lequel est impliqué « le tramway circulant sur une voie ferrée implantée sur la chaussée dans un couloir de circulation qui lui était réservé » ne relève pas de l’application de la loi » (Civ. 2e, 18 oct. 1995, n° 93-19.146). Une voie ferrée telle que celle à double sens en l’espèce réservée à la circulation du tramway répond donc au premier critère de la voie propre. Mais encore faut-il satisfaire le second critère, tenant à la délimitation de cette voie.

Concernant le second critère, il exige une séparation matérielle de la voie du tramway des autres voies de circulation afin de délimiter cette voie. Une voie propre est également une voie rendue distincte de la voie normale de circulation par une matérialisation physique. La voie en question doit être notamment délimitée par des aménagements spécifiques, tels qu’un marquage au sol, la présence de plots ou de barrières, isolant la voie propre au tramway de la voie de circulation routière ainsi que de la voie publique qu’empruntent les piétons. Ainsi la Cour de cassation a-t-elle pu écarter l’application de la loi Badinter au cas d’un accident dans lequel était impliqué un tramway au motif que celui-ci circulait sur une voie ferrée délimitée « d’un côté par le trottoir et de l’autre par une ligne blanche continue » (Civ. 2e, 18 oct. 1995, n° 93-19.146). De manière encore plus significative, elle a conclu à l’exclusion de la loi à l’accident provoqué par un tramway dont les voies étaient clairement rendues distinctes des autres voies de circulation par plusieurs éléments matérialisant cette séparation : une bordure surélevée empêchant leur empiétement, des barrières installées de part et d’autre du passage piétons afin d’en interdire le passage, l’implantation d’un terre-plein entre les deux voies de tramway pour rendre impossible tout franchissement, enfin, la présence d’un marquage au sol (Civ. 2e, 5 mars 2020, préc.). Autant d’éléments manquants en l’espèce, la voie ferrée empruntée par le tramway n’étant séparée des autres voies ou du trottoir par aucun obstacle permettant de délimiter cette voie, qui n’était pas surélevée par rapport au reste de la chaussée. Faute de séparation matérielle suffisante de la voie empruntée par le tramway des autres voies de circulation et du trottoir (lieu de l’accident), la voie de circulation du tramway n’était pas propre à ce dernier. La loi Badinter trouvait donc à s’appliquer.

Le dernier élément déterminant, en l’espèce, l’application de la loi du 5 juillet 1985 tient à la situation du point de choc, qui doit être placé, au moins partiellement, sur la voie propre pour justifier l’exclusion de ladite loi. S’il se trouve au contraire, ainsi que dans le cas litigieux, hors de cette zone réservée, la loi recouvre alors son domaine d’application. Ce qui explique que la Cour de cassation approuve les juges du fond d’avoir exactement retenu « qu’à l’endroit du choc, la voie de tramway ne lui était pas propre en ce qu’elle n’était pas isolée du trottoir qu’elle longeait » (comp. Civ. 2e, 5 mars 2020, préc. : « le point de choc ne se situait pas sur le passage piétons mais sur la partie de voie propre du tramway après le passage piétons »).

En fonction de la configuration du lieu et des circonstances d’un accident entre une rame de tramway et un piéton, la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 dite loi Badinter peut s’appliquer. Photos prises à Montpellier, rue d’Alco, à proximité du P+tram « Mosson », avenue de Lodève et boulevard du Jeu-de-Paume, le lundi 29 janvier 2024. Copyright : Edouard Paris  

A titre d’information, une indemnisation peut être refusée si la faute de la victime est inexcusable et que cette faute est l’unique cause de l’accident ou bien si la victime s’est suicidée ou a tenté de se suicider.

Info : Edouard Paris

Aide à la rédaction par l’intelligence artificielle intégrée à Microsoft Edge, qui reprend une analyse de l’arrêt rendu par la Cour de cassation le jeudi 21 décembre 2023 écrite par Merryl Hervieu pour la revue Dalloz actu étudiant, le lundi 29 janvier 2024.

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6 Responses to 1er février 2024 – Accident entre un tramway et un piéton : dans un arrêt rendu le jeudi 21 décembre 2023, la Cour de cassation applique la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 dite loi Badinter

  1. zithumy dit :

    Quand on privilégie l’esthétisme et la superficialité à la praticité comme c’est souvent le cas en France, on en arrive à des absurdités. La suppression de la caténaire avec l’alimentation par le sol a pour conséquence une mauvaise identification de la voie de tramway. En effet, dans toutes les autres villes équipées d’un tramway, la voie est délimitée par des poteaux supports de caténaires qu’on ne peut ignorer même en regardant son téléphone en marchant au risque de se prendre un poteau dans la figure !!!

    • Bonjour,
      Vous remarquerez que sur le boulevard du Jeu-de-Paume à Montpellier, les lignes aériennes de contact sont soutenues par des câbles fixées aux façades des immeubles, d’où l’absence de poteaux.
      Cordialement
      Edouard Paris

    • Miguel dit :

      Il y a d’autres villes avec des trams sans fil aérien (en général sur un tronçon seulement), que ce soit Alstom à Angers (alimentation par le sol) et à Nice (batteries et recharge en station), ou CAF à Séville et à Saragosse (supercondensateurs et/ou batteries).
      Ça complique les véhicules, mais ça permet aussi d’éviter les câblages compliqués comme devant la gare de Montpellier, et les trams bloqués au milieu d’un carrefour en cas de coupure de courant.
      Mais si on regarde son téléphone, on ne voit rien du tout. Un jeune médecin de Nîmes est malheureusement mort ainsi à la gare de St-Césaire, malgré le signal rouge clignotant lui interdisant de traverser la voie ferrée.
      https://actu.fr/occitanie/nimes_30189/nimes-accapare-par-son-telephone-un-etudiant-en-medecine-percute-par-un-train_60099222.html

  2. zithumy dit :

    Oui c’est vrai. Du coup, il faudrait savoir à partir de quel moment une infrastructure tramway est réellement en site propre?? Si on applique la loi à la lettre, seul le métro est en site propre puisqu’un tramway par définition n’est pas en site propre à 100% mais au même niveau que les voitures et les piétons.

  3. zithumy dit :

    Pour ce qui est du jeu de paume il y a d’ailleurs un conflit d’usage entre les piétons les vélos et le tramway car il n’y a aucune piste cyclable et les vélos ne savent pas où aller : les vélos sont interdits sur les rails mais ils sont aussi interdits sur le trottoir donc comment faire pour desservir un client sur cette artère ?

  4. Ge0 dit :

    Bonjour,
    Je suis un peu surpris que l’existence de barrières et de potelets, certes espacés mais implantés régulièrement (tels qu’on les voit sur StreetView) ne soit pas considérée comme une délimitation lisible et explicite de la plate-forme.
    Ce concept de voie « propre » qui ne l’est qu’au droit d’une délimitation ou d’un obstacle me semble délicat (d’autant que, en dépit de la tragédie humaine du cas considéré, la multiplication de ces barrières génère également des risques de « coincement » de personnes ou d’objets avec les circulations tramway)

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